Salieri retrouve sa voix avec Les Talens Lyriques et Christophe Rousset
Il y a pile 200 ans, le 7 mai 1825, Antonio Salieri mourait. Depuis vingt ans déjà, Christophe Rousset et son ensemble Les Talens Lyriques mènent un travail passionné de réhabilitation de son œuvre, loin des clichés qui ont longtemps réduit le compositeur au rôle d'antagoniste de Mozart.
Avec La Grotta di Trofonio (2005), ils entamaient un vaste chantier de redécouverte, auquel se sont ajoutés au fil des années pas moins de cinq enregistrements. Aujourd’hui, ils dévoilent sur le label Aparté le dernier volet de ce travail salué par la critique : Cublai, gran kan de’ Tartari (1788), opéra censuré, jamais créé, et pourtant d’une audace réjouissante.
Dans cette œuvre haute en couleur, Salieri déploie toute son énergie héroï-comique. Le livret de Giambattista Casti, qui situe l’action en Cathay au nord de la Chine, dissimule à peine une satire mordante des monarchies européennes de son temps.
À travers une intrigue orientalisante et volontairement absurde, il met en scène un pouvoir grotesque et arbitraire, incarné par le personnage de Cublai, grand khan fantasque et autoritaire, qui évoque Pierre le Grand (tsar de Russie au tempérament autoritaire, connu pour ses réformes radicales et son absolutisme).
Loin de l’académisme que l’on pourrait associer à son nom, Salieri y fait preuve d’un humour grinçant, d’une grande invention musicale et d’un sens du théâtre redoutablement efficace.
Censurée avant même sa création, sans doute jugée trop subversive pour l’époque, Cublai, gran kan de’ Tartari est restée dans l’ombre pendant plus de deux siècles. Une première tentative de résurrection a vu le jour dans les années 1990, dans une version traduite en allemand, mais il aura fallu attendre 2024 pour que l’œuvre retrouve enfin sa langue et sa forme d’origine.
C’est au Theater an der Wien que Christophe Rousset a dirigé pour la première fois la version originale italienne, avant de l’enregistrer en studio avec Les Talens Lyriques, une étape décisive, qui permet de restituer toute la richesse de la partition. Sorti en 2025, l'album coïncide avec le bicentenaire de la mort de Salieri, une réhabilitation aussi symbolique que nécessaire. Avec l’exigence stylistique et la vitalité dramatique qui font la marque du chef, ce nouvel enregistrement rend enfin à l’œuvre sa place dans l’histoire de l’opéra, révélant un Salieri mordant et audacieux.
« Christophe Rousset s’empare de la musique avec enthousiasme et insuffle, sans faiblir, une vitalité remarquable à chaque air, chaque ensemble »
Opéra Magazine